Berceuse

"J'espionne quelque-chose qui commence par s...

Sur des jambes en bonbon, l'homme araignée arrive. Doucement, à travers l'ombre du soleil couchant, dérobant au-delà des fenêtres la joie de la mort, cherchant la victime tremblante dans le lit, découvrant la peur dans la rencontre des ténèbres. Et soudain, un mouvement dans le coin de la chambre. Et il n'y a rien que je puisse faire quand je réalise avec peur que je suis le dîner de l'homme araignée ce soir...Doucement il rit et secoue la tête. La vermine est proche maintenant, proche du pied du lit. Et, plus silencieux que l'ombre et plus rapide que les mouches, ses bras sont tout autour de moi et sa langue dans mes yeux."Reste calme, et silence mon cher garçon. Ne lutte pas comme ça, ou je ne ferai que t'aimer. De plus, il est trop tard pour t'enfuir ou allumer la lumière... Tu es le dîner de l'homme araignée ce soir"Et je me sens comme dévoré par un milliard de trous poilus tremblants... Et je sais qu'au matin, je me réveillerai dans le froid tremblant... Et que l'homme araignée est toujours affamé..."

[The Cure - Traduction de Lullaby]

A travers les feuilles de la forêt de Matnatha, le jour perçait à peine. Pourtant, le soleil était levé depuis bien longtemps... Mais tout le monde savait qu'ici, il faisait toujours sombre, et que c'était pour cela que les créatures fantastiques en avaient fait leur lieu de vie.

Et c'est en cette journée qu'un vieux centaure, à la longue chevelure nacrée, vint s'allonger auprès du lac central. Il avait le visage ridé, celui d'une personne fatiguée. Fatiguée par les événements de la vie, d'ailleurs usée par la vie elle-même. Et c'est dans cet état d'esprit que le vieillard se laissa tomber près de l'eau, dans un soupir profond et mélancolique.

Il ferma les yeux, cherchant le repos qui l'avait déserté depuis bien longtemps. L'homme ne dormait plus... En tous cas, plus comme avant. Morphée ne l'accueillait que lorsqu'il était épuisé, à bout de forces. Le vieux centaure s'assoupissait ainsi à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour se réveiller quelques heures ensuite. Jamais bien plus de deux, d'ailleurs.
Il n'en pouvait plus... Il ne vivait plus, il survivait. Son heure n'était-elle pas venue ? Il abaissa ses paupières, attendant le repos éternel...

Elle venait d'arriver au bord du lac central quand elle vit une créature mi-homme mi-cheval allongée sur la rive. Sa longue chevelure blanche laissait supposer qu'il était très âgé, son souffle court, et son regard dans le vague inquiétèrent la jeune femme qui s'approcha doucement. Elle reconnut alors le vieux centaure et comprit qu'il devait être au bout du chemin de sa vie.
Elle s'accroupit au niveau du visage du vieillard, écarta une mèche de cheveux qui retombait sur son front et avança délicatement sa main vers ses yeux. Le vieillard avait l'air endormi et elle espérait ainsi l'aider à passer en toute sérénité de l'autre côté. Mais alors qu'elle allait poser sa main sur ses paupières, elle sentit celles-ci s'ouvrir et put voir le bleu intense du regard qui la fixait. Elle recula brusquement, trop surprise pour contenir sa réaction, mais resta à deux pas du centaure.

Le vieux centaure entendit quelqu'un s'approcher, sans toutefois s'inquiéter. Il n'avait que très peu d'ennemis, et il aurait fallu qu'il soit vraiment très malchanceux pour qu'il s'agisse de l'un d'entre eux. De plus, il aurait reconnu cette douceur à des kilomètres. Cette jeune fille, il la connaissait bien. Toutefois, avec la vieillesse était venu la sénilité, et il avait oublié son nom, sans jamais oser l'avouer à la concernée. C'était désespérant... Il avait fallu qu'il perde l'identité de cet être de bonté, alors qu'il pouvait se rappeler tout ce qu'il avait vécu durant ces 50 dernières années ou presque.

L'homme-cheval sentit le contact de la peau froide de la demoiselle contre son front. Même dans les pires moments, elle prenait soin de lui. Il ne saurait jamais comment la remercier. Le vieillard aurait aimé lui offrir tout ce qu'il possédait, malheureusement, ça ne constituait pas grand-chose, même pas une retraite bien à lui. Pourtant il aurait adoré aménager un tronc creux. Certes, ç'aurait été étroit, mais ç'aurait été mieux que rien. Et il savait parfaitement comment il aurait aimé l'aménager. Des étagères emplies de livres, et une couche de velours...

Elle aurait peut-être même accepté de s'y blottir contre lui.

En ouvrant les yeux, Aste ne comptait pas apeurer sa seule amie, celle qu'il n'espérait même pas avoir à ses côtés tant elle lui paraissait fabuleuse. Il ne la méritait pas, ça non.
Dieu soit loué, il voyait encore. Et il pouvait donc l'observer, surprise comme un enfant découvrant que les insectes peuvent voler. Ses grands yeux firent battre le cœur de l'homme un peu plus vite. Et de sa voix enroué, tendant la main, il dit : "Je suis désolé, je ne voulais pas te faire sursauter ainsi." Après avoir difficilement repris sa respiration, il ajouta : "Comment vas-tu, mon enfant ?"

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